Retour vers le futur de la chirurgie
Rencontre avec le Professeur Jacques Marescaux, président de l’Institut de recherche contre les can-cers de l’appareil digestif (IRCAD).
Intervention à distance, opération sans cicatrice, clones virtuels en 3D, en 20 ans vous avez révolutionné la chirurgie grâce au numérique. D’où vous vient cette faculté de voir loin et d’anticiper ?
Chacun d’entre nous a été marqué une fois dans sa vie par une conférence exceptionnelle qui a changé sa manière de voir. Pour moi c’était en 1992 à Cologne. Un chirurgien de l’armée américaine, le colonel Rick Satava y expliquait ce qu’allait être la chirurgie de demain. Il y a parlé d’internet, de robotique chirurgicale, de réalité virtuelle et de réalité augmentée, alors que rien de tout cela n’existait encore. J’ai compris entre 10 et 20 % de sa conférence mais j’ai compris que le futur de la chirurgie était là.
Quatre ans plus tard nait l’IRCAD, nous sommes en 1994. Racontez-nous…
A l’époque, les instituts de recherche médicale de notre pays s’intéressaient davantage à la biologie moléculaire qu’à l’informatique. C’est la raison pour laquelle nous avons crée notre propre institut. Avec une vision du bloc opératoire fondée sur l’imagerie et le numérique. A l’époque, avec l’IRM et le scanner on ne disposait que d’une vision du patient découpé en tranches. Au médecin de reconstituer l’image en 3D, ce qu’il pouvait faire mais pas dans les moindres détails. Aujourd’hui avec les outils de planification chirurgicale en 3D, cette reconstitution se fait automatiquement et en temps réel. Aujourd’hui, le chirurgien peut aussi simuler son geste grâce à une image qui s’anime. Aujourd’hui, enfin, le chirurgien voit en transparence, à travers les tissus. Il voit les veines, il voit les nerfs, il voit les tumeurs, c’est à dire tout ce qu’il doit éviter ou au contraire enlever. Cette image, il peut la télétransmettre et l’associer à un robot, pour opérer un patient. Et ce, que le patient se trouve à quelques mètres ou à quelques milliers de kilomètres. C’est ce que nous avons fait en 2001, en opérant un patient à New York, depuis Strasbourg.
Et demain, que sera demain ?
Dans 20 ans on ne pourra plus distinguer le vrai malade du malade virtuel, et le vrai organe de l’organe virtuel. Dans 20 ans nous serons tous opérés par des robots qui verront en transparence et des ordinateurs dont l’intelligence artificielle dépassera celle du chirurgien.
L’innovation dans le sang
3 questions au Professeur Marina Cavazzana, pédiatre hématologiste, coordinatrice du centre d’investigation clinique en biothérapie de l’Hôpital Necker - INSERM.
Vous êtes une des pionnières des thérapies géniques et pourtant c’est par le mot « impuissance » que vous avez commencé votre conférence. Pourquoi ?
Car l’impuissance a été à l’origine de mes travaux. Impuissance face à la souffrance de très jeunes enfants atteints de maladies génétiques pour lesquelles le seul traitement était un greffe de moelle osseuse. Et impuissance face au risque de rejet de cette même greffe. L’intolérance hématologique a donc été mon premier objet de recherche. Une tâche quasi insurmontable que j’ai décidé de contourner. Par intuition, par instinct de survie mais aussi un peu par « paresse ». Je me suis dit qu’au lieu remplacer les cellules malades, il fallait y introduire le gêne dont elles avaient besoin. Nous sommes en 1995 et ce sont les biologistes de l’époque qui m’offrent la solution, sur un plateau. Ils travaillent alors sur l’utilisation des virus pour transporter une information génétique jusqu’au noyau de cellules malades.
C’est de cette intuition que sont nées les thérapies géniques ?
En effet. Avec une première en Europe sur des nouveaux-nés atteints du DCIS-X, un déficit immunitaire mortel lié au chromosome X. Nous avons prélevé les cellules souches malades de ces bébés pour les corriger à l’aide de virus inactivés, puis leur avons greffé ces cellules génétiquement modifiées. Une greffe autologue sans risque de rejet mais avec des effets adverses qu’il nous a fallu résoudre.
Au delà des déficits immunitaires, à quoi servent aujourd’hui ces thérapies ?
A soigner des patients atteints de drépanocytose, par exemple. Ils sont plus de 50 millions dans le monde. En Ile de France, près de 500 bébés naissent chaque année avec cette maladie et plus 12 000 adultes en sont atteints.
Lève-toi et vois
3 questions au Professeur José Alain Sahel, ophtalmologiste, INSERM, directeur de l’Institut de la vision.
Vos travaux de « restauration visuelle » permettent aujourd’hui à des patients aveugles de retrouver la vue. Qui est concerné ?
Nos yeux voient parce qu’ils absorbent la lumière grâce à des photorécepteurs placés dans la rétine. Ces photorécepteurs traitent le signal puis le transmettent au cerveau. Or cette rétine est fragile et peut être touchée par de nombreuses maladies. Comme la rétinite pigmentaire, une maladie génétique qui touche 20 millions de patients dans le monde et les rend peu à peu aveugles au bout de 20 ans. Ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) qui touche plus d’1 million de personnes en France dont 10 % sont aveugles.
Comment traite-t-on ces maladies ?
Quand on perd ces photorécepteurs, on perd le signal mais pas la connectique. Il faut donc éviter à ces cellules de dégénérer, les corriger ou les remplacer. S’il reste des cellules et qu’elles sont at-teintes on commence par les cartographier puis les corriger grâce aux thérapies géniques. Mais c’est impossible quand on détecte la maladie trop tard ou que les mutations génétiques sont trop complexes. On peut alors remplacer ces photorécepteurs avec des cellules souche ou des prothèses.
Des prothèses pour les yeux ?
Il s’agit de rétines artificielles, d’implants placés sous la rétine. Ces implants, associés à des lunettes spéciales, stimulent les cellules restantes de la rétine ou le nerf optique et envoient les informations au cerveau qui doit réapprendre à « voir ». Grâce au Forfait innovation, une trentaine de patients en France en sont équipés. Ils lisent aujourd’hui 10 mots par minute C’est peu par rapport à un patient sain qui en lit 200 mais c’est énorme quand on a été aveugle pendant 20 ans. Dans un avenir proche, on ira plus loin, avec des résolutions de plus en plus hautes et des implants sans fil composés de photodiodes.